La nature privatisée

Un automne
bien triste

Parce que la chasse est un loisir un peu particulier qui cohabite difficilement avec les autres
loisirs de plein air. A fortiori quand on pratique comme moi l'observation des animaux que les
chasseurs, eux, mettent dans le viseur de leur carabine.

Comme d'habitude, je découvre l'information à la dernière minute et je vais devoir m'adapter
mais je sais au moins à quoi m'en tenir car ce n'est pas toujours le cas.
Si les chasseurs de ma commune procèdent au balisage de leur zone de chasse dans les règles
afin de pratiquer leur activité en sécurité, d'autres, comment dire, s'en foutent complètement.
Je vais m'en rendre compte très vite d'ailleurs.

Après un petit quart d'heure de voiture dont je me serai bien passé, je me gare en lisière d'un
bois situé à quelques kilomètres, je suis seul et je débute enfin ma promenade.
Pendant un peu plus de 2h30, j'arpente discrétement les bois entrecoupés de roselières et de
prés de cette zone que je connais bien et dans laquelle je surprends régulièrement des animaux
en temps normal. Aujourd'hui, hélas, je n'en croiserai aucun.

Ce vide et cette absence de vie ne me surprennent pas vraiment en fait. Je pratique la photo
animalière depuis trente ans maintenant et cela fait longtemps que j'observe une rupture nette
dans le comportement des animaux à partir de la fin du mois de septembre.
Et le changement de saison n'y est pour rien !

Dès que la chasse commence sur notre territoire, la méfiance des animaux se transforme en
véritable paranoïa et leur observation pendant la journée devient très compliquée.
Cette pression permanente avec les dérangements et le stress qu'ils impliquent et qui pousent
les animaux à l'invisibilité crée une atmosphère pesante et mortifère qu'on perçoit nettement
quand on vit la nature au plus près toute l'année.

2h30 plus tard donc, je termine mon circuit bredouille quand je m'aperçois que ma chienne ne me
suit plus. Je fais demi-tour et rapidement, je la surprends en train de boulotter les restes d'un
animal. Il n'y a plus grand chose, le corps a totalement disparu mais la tête qui est toujours là
me permet d'identifier la pauvre bête.
C'était une jeune biche et sa mort est apparemment l'oeuvre de braconniers.

Ces autres chasseurs avec lesquels les animaux doivent composer toute l'année cette fois-ci.
Car pour la faune sauvage, il n'y a pas de répit, sauver sa peau, c'est tout le temps, le jour
et la nuit.

Le seul animal que je verrai aujourd'hui au cours de ma sortie sera donc un animal mort !

Je suis presque arrivé quand j'entends des cris et des grelots tinter dans les bois autour de moi.
Je me rends compte à ce moment là que je suis peut-être nassé dans une partie de chasse qui
vient de commencer.
Les chasseurs passent au loin heureusement et je découvre quand je sors du bois leur panneau
posé à l'entrée du chemin. Plusieurs voitures entourent la mienne et à aucun moment
visiblement, ces chasseurs ne se sont dit que son ou ses propiétaires pouvaient se trouver dans
la zone qu'ils allaient prospecter.

Ces chasseurs avaient décidé de chasser ici, aujourd'hui, à l'heure qu'ils avaient choisi, ils ont
posé leur panneau pour se donner bonne conscience et hop, tant pis pour les vététistes, les
cueilleurs de champignons, les photographes, les autres quoi !
Ces pratiques n'ont rien de marginales malheureusement et elles en disent long sur le respect de
ces gens là envers les non chasseurs et leur conception du partage de la nature.

A une heure près, je viens peut-être de passer à côté d'une sérieuse mésaventure, ou pire,
qui sait ?
Un jeune homme, Morgan Keane, vient de perdre la vie récemment à 25 ans à cause d'une balle
perdue, il coupait du bois dans sa propriété dans le Lot.

Pourquoi ? Parce que des chasseurs pratiquaient leur loisir !

Mais quel loisir en France met manifestement en danger de mort d'autres personnes ?

Cette question est totalement éludée depuis longtemps malheureusement par les chasseurs et les
pouvoirs publics garants de notre sécurité.
Après ce décés tragique, le représentant des chasseurs a simplement dit qu'il n'y avait pas
d'activité avec un risque zéro !
Je ne savais pas et Morgan non plus que couper du bois avec une hache pouvait entraîner une
mort par balle.

Quelle honte de tenir des propos aussi bêtes et aussi graves !

Morgan et Mark Sutton, le vététiste tué en Haute-Savoie en 2018 par un autre chasseur vont
donc rejoindre les statistiques des accidents de chasse et basta !
Hasard des circonstances, le procés de ce chasseur vient de se terminer début décembre avec
une condamnation de 4 ans de prison dont 3 avec sursis.

Je laisse chacun juger du prix accordé à nos vies quand un chasseur un peu distrait se trompe
de cible et nous confond avec un sanglier ou autre chose !

L'absence de réponse sérieuse à ce problème très grave en appelle forcément d'autres.
Personnellement, je ne comprends pas ce flou dans une société comme la nôtre qui permet
à une minorité de citoyens de préempter un bien commun et de faire peser à travers leur
activité un danger certain sur autrui de surcroît.

Triste saison ! Triste société !