Qui a fief a droit de chasse

Res
nullius

Aujourd'hui donc, en rentrant d'une sortie aux étangs de Commelles, un des seuls endroits autour
de chez moi où l'observation de la faune sauvage ne pose pas trop de problèmes en période de
chasse, je prends la route entre Thiers-sur-Thève et Mortefontaine en espérant apercevoir des
animaux dans la grande prairie située en face du haras de Charlepont.

A cette période de l'année, les biches constituent de grandes hardes auxquelles se joignent
parfois de jeunes cerfs et quelques grands mâles. Il y a deux ans, le hasard et la chance
m'avaient permis d'observer une harde magnifique d'une soixantaine d'animaux dans cette prairie
et je ne manque plus depuis une occasion de passer par là.

De part et d'autre de cette petite route, les grillages ou les clôtures de fils barbelés entourent
quasiment l'intégralité des bois ou des prairies.
Les chaises de tir disposées un peu partout et les petites pancartes rouges et blanches clouées
sur les arbres très régulièrement me rappellent que cet endroit est cependant très spécial.
Tous ces bois, les prairies, les roselières, les étangs et la jolie petite rivière qui coule au
milieu de cet espace naturel remarquable sont privés et constituent un vaste domaine de chasse.
Et dont les propriétaires se partagent de fait les animaux qui vivent sur ce territoire.
Ils n'imaginent pas une seconde bien entendu que d'autres peuvent voir dans cette vie autre chose
que du gibier et des trophés de chasse !

Comment expliquer et interpréter sinon la scène ahurissante à laquelle je vais assister dans
quelques instants.

Arrivé en effet au niveau de la prairie, des promeneurs en train de scruter attentivement une
masse sombre et compacte attirent mon attention. Je devine rapidement de quoi il s'agit et
j'accélère.
Je me gare sur le côté de la route étroite qui méne au haras et je descends de la voiture avec
mon appareil photo à la main.
Le nombre des animaux qui constituent la harde est phénoménal. Je pense que c'est tout
bonnement la harde la plus importante que j'ai vue à ce jour. Plus d'une centaine d'animaux
sont regroupés devant moi !

Le spectacle est incroyable mais il sera de courte durée malheureusement !

Les personnes un peu plus loin que j'ai associées un peu vite à des promeneurs sont en fait des
chasseurs. Il y a plusieurs gros 4x4 et tous leurs occupants sont habillés en vert et orange avec
sur la tête une grosse chapka. Le dernier accessoire à la mode dans le monde huppé de la
chasse cette année visiblement.

Ils viennent d'arriver comme moi apparemment mais au lieu d'oberserver et de contempler ce
spectacle, plusieurs d'entre eux pénètrent dans la prairie et se dirigent vers la harde.
L'inquiétude monte rapidement chez les animaux et la harde commence à s'agiter.
La situation n'est pas si anodine que ça car les échappatoires ne sont pas nombreuses depuis
qu'un grillage a été dressé au milieu de la prairie.
Ce grillage représente en effet un vrai danger si les animaux paniquent, se sentent acculés
et se précipitent dessus.

Les chasseurs semblent le comprendre fort heureusement et relâchent un peu l'étau autour de la
harde qui en profite pour s'échapper vers le domaine du château de Vallière de l'autre côté de
la route.
Mais cela ne les arrange pas du tout manifestement et plusieurs 4x4 démarrent en trombe, me
frôlent au passage et vont couper la route aux animaux.
La harde paniquée fait demi tour et repart comme prévu vers le centre de la prairie.
Les chasseurs restés sur place referment alors l'étau sur les animaux et les repoussent vers le
bois situé derrière le haras.
Je comprends à ce moment là, grâce à leur mines réjouies, que la harde a pris pour leur plus
grand bonheur la direction du domaine de chasse où ils pourront s'adonner à leur passionnant
loisir, tuer des animaux !

S'il s'était agit d'une espèce protégée, leur intervention aurait clairement fait l'objet d'une
infraction sanctionnée par l'office Français de la biodiversité. Mais le statut des cervidés comme
de toutes les espèces chassables confére aux chasseurs un pouvoir de vie ou de mort sur tous
ces animaux et une impunité dont certains abusent sans limite et sans vergogne.

Alors que les chasseurs à travers leur soi-disant rôle dans les équilibres de la nature répètent
à qui veut l'entendre qu'ils sont les plus grands écologistes de notre pays et revendiquent haut et fort leur lien étroit avec nos campagnes, pourquoi se comportent-ils ainsi ?

Pourquoi leur attitude est-elle si peu empreinte de respect et d'admiration pour la vie animale
qui est le coeur de notre nature ?

Pourquoi sont-ils autant insensibles à la souffrance qu'ils infligent aux animaux ?

Res propria, "qui appartient à un propriétaire" et "qui a fief a droit de chasse", la réponse est
peut-être contenue dans ces deux citations du Moyen Age qui étaient la règle à cette époque.
Elles correspondent pour le coup beaucoup mieux à la réalité du statut de la faune sauvage en
France et son appropriation par une classe sociale privilégiée.
Privilégiés qui sont d'ailleurs bien souvent les héritiers de ces seigneurs d'antan.

Si nos forêts devaient garantir avant tout à cette époque une réserve de viande et un moyen de
subsistance à leur possesseurs, la chasse à travers sa transformation en industrie lucrative
est devenue pour leurs successeurs un moyen très rentable de maintenir leur train de vie et
leur rang dans la société.

Derrière la pratique de la chasse et la régulation de nos grands animaux se cachent de manière
évidente des intérêts qui vont bien au delà de belles traditions comme on voudrait nous le
faire croire.

Et le statut de la faune sauvage est au centre de ce problème !

Réformer ce statut pour amener les véritables acteurs et décideurs du monde de la chasse en
France à envisager un meilleur partage et une gestion plus démocratique de nos espaces naturels
et de ses habitants est donc un enjeu capital et incontournable !