La nature, encore un espace de liberté ?

La nature, encore
un espace de liberté ?

Et bien pour décourager définitivement les promeneurs un peu trop curieux ou aventureux

de s'éloigner des chemins et de s'introduire dans les vastes espaces naturels que certains
ont privatisé !

Car la nature, cette bulle dans laquelle nous sommes nombreux à nous évader pour trouver
le réconfort et la force de survivre dans cette société brutale, sale, bruyante, hyper
règlementée et dirigiste, est très loin d'être l'espace de liberté rêvé.
Si j'ai imaginé naïvement, plus jeune, pouvoir me déplacer sans contrainte et suivre les
animaux au fil des saisons dans les forêts autour de chez moi, le message délivré par ce
panneau et les autres auxquels il est difficile d'échapper m'a très vite rappelé à la réalité.

Car 75% des forêts Françaises sont privées ainsi que la totalité des plaines agricoles qui
composent l'essentiel des paysages d'une grande partie de notre territoire.
Quand on habite certaines régions comme l'Ile de France, nature et liberté sont donc deux
notions très relatives qui ne s'accordent pas automatiquement contrairement à ce que beaucoup
de personnes pensent.

Les forêts publiques ne représentant que 25% des surfaces forestières Françaises, il y a ainsi
plus de probabilités pour que les bois qui bordent nos lieux d'habitation soient privés que
le contraire.
C'est le cas pour ma commune et je n'ai en principe, comme l'ensemble des ses habitants, pas
le droit d'y pénétrer et donc de profiter de la nature qui nous entoure.

Alors quels sont les espaces, en dehors du béton de nos villes, dans lesquels nous avons le
droit et l'autorisation de mettre les pieds quand nous n'avons pas accès directement à une
forêt domaniale ?

La réponse vient peut-être d'un chasseur que j'ai rencontré récemment dans des conditions un
peu singulières. Celui-ci m'a en effet donné le conseil très avisé de rester sur les chemins
communaux et de me promener avec une carte pour être sûr de ne pas m'en éloigner.
Lui et moi étions dans une propriété privée qui n'appartenait ni à l'un ni à l'autre pourtant.

Seuls les chasseurs auraient le droit en France, si j'ai bien compris le message de ce monsieur,
de marcher en dehors des chemins et d'arpenter la nature comme bon leur semble !
Les chasseurs jouiraient donc de prérogatives dont les autres amoureux de la nature seraient
privés mais pourquoi et au nom de quoi ?

A qui faut-il donc faire allégeance pour jouir de ce privilège ?

Et avec cette carte si je comprends toujours, il faudrait également que je consulte l'agenda de
la chasse pour connaître les jours où je peux sortir !
Sachant que la chasse ne s'interrompt que 3 mois dans l'année, cela voudrait dire que 9 mois
sur 12, nous devrions gentiment abandonner notre droit de profiter de la nature au seul bénéfice
des quelques 1 100 000 chasseurs, soit 1,6 % de la population Française !

Quel bel exemple de démocratie dans le pays dit des libertés qui prône également l'égalité
entre ces citoyens !

Si ces mots d'ailleurs, liberté et égalité, évoquent une période de notre histoire censée
en avoir aboli d'autres, il est naïf encore une fois de penser que les privilèges ont disparu
dans notre pays.
Les grands domaines forestiers privés sont toujours la propriété de riches familles d'origine
aristocratique ou bourgeoise dans lesquels ces dernières perpétuent très logiquement la
pratique de la chasse.
Ce loisir qui a été pendant très longtemps l'apanage des puissants de notre monde reste
incontestablement en effet un des marqueurs important de l'appartenance à la classe sociale
supérieure et du pouvoir.

Les bois transformés en domaines de chasse privés qui entourent ma commune en sont une triste
illustration et mettent très bien en lumière cette réalité.
Ils sont tous sans exception aux mains des héritiers de ces grandes familles.

Et ce chasseur comme tous ces confrères n'y voient rien à redire bien entendu. Il est vrai
qu'ils font partie des rares personnes de nos jours à bénéficier encore de ce privilège.

Alors pourquoi le remettre en cause ?

Pour le défendre d'ailleurs, ils sont même devenus les ambassadeurs inconditionnels et les
portes voix zélés de ces riches propriétaires.
Chaque occasion est bonne en effet pour répéter bêtement les mêmes messages simplisyes et
démagogiques qui voudraient nous faire croire que la propriété privée est un droit universel
et qu'elle fait partie des belles valeurs de notre société.

Il faut bien tenter de légitimer cet accaparement et le rendre normal.

Car ce qui est évident pourtant à la lumière de notre histoire pas si lointaine que ça, c'est
que les forêts privées sont bel et bien le résultat de la confiscation et de l'appropriation d'une
ressource collective par nos rois et leurs seigneurs.
A cette époque, les forêts jouaient en effet un rôle économique et social capital dans la vie et
la survie du peuple.
Elles fournissaient le bois pour le chauffage, les matériaux pour la construction et une partie
non négligeable des ressources alimentaires.
Elles étaient par conséquent, contrairement à aujourd'hui, un véritable lieu de vie, d'activités
en tout genre, de commerce et de rencontres.
Les forêts constituaient de fait un enjeu primordial pour garantir sa domination sur le peuple et
par la même occasion assoir son pouvoir politique.

Si leur rôle social a évolué au cours du temps et s'est ammoindri politiquement, elles sont
devenues par contre un des symboles de la richesse et de la puissance des descendants de ces
grandes familles aristocratiques et bourgeoises par la suite.

Les forêts privées possédées par ces grandes familles ne sont donc absolument pas des biens
honnêtement et honorablement acquis dans le passé mais des biens véritablement spoliés
à nos aïeux.
Même les droits d'usage accordés au petit peuple à cette époque nous ont été repris et ne
nous permmettent plus d'accéder librement à ces forêts.

Et les grillages, les panneaux et les caméras dont j'ai évoqué l'apparition sont là pour nous
rappeler cette infâme interdiction.

Les forêts sont pourtant toujours un lieu de vie intense. Sous la pression de l'homme, elles
sont mêmes devenues un des derniers refuges d'une grande partie de nos animaux sauvages.

Et par conséquent, un des derniers endroits parfois où voir et admirer ces animaux !

Ces espaces de liberté dans lesquels nous pouvions encore nous évader et prendre un peu
de recul par rapport au monde sale et bruyant qui nous entoure vont t'ils nous être confisqué
également ?

Et avec ces espaces, la vie sauvage et toutes les beautés de la nature qui les hébergent ?

Il est vraiment anormal que nous ne soyons pas tous libres et égaux de jouir de manière
équitable du patrimoine naturel de notre pays !